Lecture vivante et réjouissante du roman "Les Esprits de la terre", épisode 5
Lecture vivante et réjouissante en 7 épisodes du roman les Esprits de la terre (1953), de Catherine Colomb, par Catherine Kunz, comédienne.
Sur la côte vaudoise entre le lac et le pied du Jura, César, héritier spolié et mal aimé, tente de renverser le cours du temps et de retrouver les enfants que lui, ses frères et sa sœur étaient.
Ecriture romanesque novatrice et ébouriffante à l'humour féroce et à la poésie consolatrice.
Durée 55 minutes.
Entrée prix libre
Les textes de Catherine Colomb qui décrivent les relations humaines dans toute leur complexité, les blessures d’enfances, les relations entre les forts et les faibles, la revanche des opprimés, restent d’une grande actualité et sont comme un miroir tendu à nos propres interactions familiales et sociales.
La difficulté d’accès au commun des lecteurs de l’œuvre de Catherine Colomb disparaît quand ses textes sont lus ou dits.
Un travail de désentrelaçage de son écriture permet de faire entendre les différentes voix narratives en les distinguant.
Le texte nous est alors révélé, toujours riche, foisonnant, imbriqué, mais limpide.
L’objectif de la démarche de Catherine Kunz est de rendre les romans de Catherine Colomb accessibles à un large public. Elle aimerait les faire entendre, faire apparaître son univers si incroyablement touchant, drôle, bienfaisant et réparateur aussi.
Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soulevant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.